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Du constructivisme au paradigme de life course analysis : vers l’élaboration d’un programme de recherche

Pour ce qui a trait au contenu épistémique de cette trajectoire de recherche, la note constructiviste et interactionniste de mon laboratoire d’appartenance (du moins pour ce qui concerne son versant sociologique) constitue sa signature scientifique et, par extension, la mienne. Les sociologues de l’équipe s’emploient à analyser leurs objets d’étude, non comme des allant-de-soi, mais comme des constructions sociales résultant des interactions et des processus socio-historiques. La déconstruction des faits sociaux constitue donc le point de départ de nos réflexions. L’accent est porté sur les relations non seulement entre les individus, mais également entre les acteur·rices et les dispositifs, afin d’identifier les ajustements réciproques et progressifs et de repérer les dynamiques sociales en œuvre.

En ce qui concerne en particulier mes travaux, l’accent mis sur les acteur·rices est à relier à un des principes fondamentaux du paradigme des parcours de vie : les capacités actancielles des individus (agency). Mais l’inscription des recherches françaises dans ce paradigme n’a guère été théorisée de façon globale, systématique et cohérente, les cadrages théoriques affichés étant à ce jour incertains et peu consolidés46. En outre, les analyses sociologiques du vieillissement et de la santé se sont montrées beaucoup plus attentives aux régularités observables que l’application du paradigme mettait en évidence, qu’aux principes inhérents à cette orientation théorique ou aux modèles interprétatifs et explicatifs adossés. Ainsi, pour de nombreux·ses sociologues, le parcours de vie est à peine plus qu’une idée vague concernant la dimension séquentielle qui pointe la succession d’une série d’événements significatifs au niveau biographique (Levy, Gauthier, Widmer, 2006). Rarement accompagnée par une méthodologie mixte et un suivi longitudinal qui rendraient justice aux principes du modèle analytique, la recherche sociologique française a laissé en retrait les questions de temporalité et, notamment,

45 L’exercice fut concluant puisque, depuis mes premiers pas dans le LISST, j’ai pu ainsi produire 7 ouvrages (dont 1 monographique), 23 articles dans des revues à comités de lecture et 32 chapitres d’ouvrages dans des productions scientifiques francophones et anglophones.
46 Si Claire Bidart et ses collègues (2013 ; Mendez, 2010) ont aussi engagé une réflexion théorique à ce sujet, en France, le paradigme reste plutôt en retrait dans les travaux sociologiques, pour ne pas dire méconnu. Quant aux sociologues de la deuxième École de Chicago (je me réfère ici en particulier aux travaux d’Anselm Strauss, Howard S. Becker et Everett C. Hughes), ils ont mis en évidence l’intérêt heuristique de cette perspective théorique.

le temps long – en particulier pour ce qui a trait à la maladie et au handicap invisible et, à un moindre degré, au vieillissement. Conséquemment, le contexte sociohistorique et les capacités actancielles des individus placés en situation d’interdépendance ont été, pour l’essentiel, considérés de façon statique (et non pas dynamique) à travers des arrêts sur image qui, dans le meilleur des cas, éclairaient rétroactivement les lignes biographiques à partir des récits individuels. Le premier chapitre de ce mémoire d’habilitation (cf. Volume II) discute ces enjeux scientifiques.

En ce qui concerne en particulier le temps long, dans la mesure où le paradigme de life course analysis renvoie à des sociétés en mutation, ce sont les dynamiques plurielles et les mécanismes de production du changement qui retiennent l’intérêt des chercheur·es qui l’adoptent. Au-delà du socle institutionnel et des rapports sociaux, repérables à différents niveaux de l’activité sociale, ces mécanismes sont observés à partir d’une méthodologie privilégiant généralement plusieurs échelles d’analyse : micro-, méso- et macrosociale. Adoptée depuis ma thèse, cette démarche consiste à tenter d’articuler l’examen des expériences individuelles avec les conditions socio-économiques et culturelles de leur production. À cet égard, le paradigme de life course analysis peut constituer un cadre théorique susceptible de soutenir une dynamique de recherche et un programme scientifique pour les générations à venir. Articulant des pratiques et des discours individuels à des déterminants socio-politiques, historiques, économiques et culturels, médiatisés par le cadre institutionnel, l’objectif est d’appréhender les phénomènes sociaux dans leur complexité. Dans le droit fil du paradigme de life course analysis, mon apport à la dynamique de recherche sociologique tient donc d’une part, à l’examen de ces épreuves (initiées par la maladie, le handicap invisible et/ou l’avancée en âge) de façon transversale à partir de la dé-prise ; et d’autre part, à la mise en place d’une analyse qui retient le genre comme un des marqueurs les plus pertinents en matière d’inégalités sociales. Cette approche prend le parti d’une mise en perspective contextuelle et relationnelle des épreuves de la vie et considère les minorités de genre et de sexualité comme point de départ de l’analyse.

Enseigner et écrire sur des thématiques aussi différentes que le vieillissement, le handicap invisible et acquis, le genre et la santé, peut parfois réclamer des capacités d’équilibrisme réflexif. La HDR fut l’occasion de revisiter ces réflexions. La mise en cohérence qui s’est ensuivie, a été travaillée dans la préparation du dossier de délégation de recherche CNRS au CERTOP, qui m’a été accordée cette année. À ce jour, la décharge de cours et de responsabilités pédagogiques que cela induit se présente comme une condition essentielle à l’avancée de mon travail de recherche, dans une perspective de comparaison internationale. Le projet qui suit est le fruit de cette avancée.