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Le métier d’enseignante-chercheure

C’est en 2007, avec mon recrutement en qualité de maîtresse de conférences sur un poste fléché en sociologie du vieillissement à l’UT2J, que débuta la troisième période de cette trajectoire professionnelle, consacrée dès lors au métier d’enseignante-chercheure. La cohérence de cette partie de ma trajectoire s’inscrit dans un double axe :

(a) le montage et le pilotage des dispositifs de formation à la recherche, ((co-)encadrements de master et de doctorats), à partir des programmes de recherche que j’ai eu l’occasion de piloter et les collaborations internationales qui vont de pair ;

(b) la capacité à générer des partenariats avec d’autres équipes universitaires – notamment en sciences humaines et sociales, en médecine et en santé publique – dans une visée interdisciplinaire et internationale.

Entre le pilotage des dispositifs de formation à la recherche et la genèse des partenariats

De ces 15 ans de pilotage de formations initiale et continue, de niveau License ou Master, je peux témoigner aujourd’hui que ce travail fut également l’opportunité d’une relecture profitable de mes travaux de terrain. Il m’a permis de réinvestir des angles d’analyse ou des entrées thématiques restés momentanément en retrait dans mes recherches (la thématique du handicap notamment)et, par là même, de consolider les ponts entre les pôles de recherche et d’enseignement, dans un esprit interdisciplinaire et international. En parallèle, la démultiplication des demandes de masterien·nes que j’ai suivi·es de poursuivre en thèse, posait de facto la question de la HDR. Ce fut un retour vertueux, en cela qu’il m’ait permis d’avancer sur sa conception et, plus généralement, dans mes publications, en revisitant le cadrage théorique de mes travaux de recherche.

À n’en point douter, ce sont ces productions scientifiques et l’élaboration de contenus d’enseignements en lien direct avec mes programmes de recherche, qui sont venues permettre la genèse du Master ‘AGÂPÉS : Métiers de la Relation et Développement Social’, dont j’assure la responsabilité depuis 2017. Le Parcours AGÂPÉS réunit trois blocs des savoirs : 1/ Accompagnement au Grand Âge et handicap (AGÂ) ; 2/ Parcours de Soins et enjeux éthiques (P) 3/ Éducation Sexuelle et identité (ÉS). Il relève de la mention ‘Intervention et

Développement Social’ (IDS), dont je porte également la responsabilité depuis 2019. Seul Master ouvert en formation continue pour l’UT2J, je me suis employée à le faire évoluer dans le cadre de nouvelles maquettes, sur la base d’une co-accréditation (200H mutualisées) entre l’UT2J et l’UT3 (faculté de la médecine). Sa double ligne de force tient en deux mots : interdisciplinarité et internationalisation. Ancré sur un solide réseau partenarial, formalisé avec les mondes académiques, professionnel et institutionnel, le parcours AGÂPÉS propose une réelle internationalisation du cursus, concourant ainsi à la constitution d’un pôle d’excellence implanté dans la ville rose.

Il va sa dire que sans les collaborations de recherche antérieures, ces partenariats de formation à la recherche13 n’auraient pu être élaborés. Mais le parcours AGÂPÉS cristallise aussi mon engagement croissant dans les responsabilités pédagogiques du Département de Sociologie, qui se retranscrit dans l’évolution sensible du volume des heures d’enseignement dispensées, en augmentation régulière depuis mon recrutement (doublé entre 2007 et 2020). Responsable (ou coresponsable) depuis mon recrutement, de nombreuses Unités d’Enseignement (UE 105 ; 201 ; 202, 403 ; 503) et de l’ensemble des spécialités en L3 depuis 2011 ; enseignante-référente entre 2013-2016 et responsable de la gestion de l’interface enseignant·es/étudiant·es dans le cadre de la Direction Collégiale du Département de Sociologie (2013-2016) ; RUN entre 2009- 2013 et responsable de l’Atelier Informatique depuis 2014, je suis également auteure de multiples supports de cours disponibles au Service d’Enseignement à Distance (SED), portant sur les méthodologies quantitatives et qualitatives ou encore la sociologie de santé et des rapports au corps, le vieillissement ou les inégalités de genre. L’évolution de mon engagement au sein du Département de Sociologie doit être appréhendée dans un contexte plus large d’augmentation de la charge des responsabilités liées à l’encadrement pédagogique et administratif des formations et d’unités d’enseignement, mais aussi à l’encadrement des mémoires de Master et notamment les responsabilités du Master AGÂPÉS et de la Mention ‘Intervention et Développement Social’, étroitement associées à mon engagement dans des programmes de recherche que j’ai conduits.

Le triptyque des domaines de recherche développés passé au tamis de la dynamique scientifique du LISST

À l’aune des éléments qui précèdent, il apparaît clairement que les programmes de recherche que j’ai développés depuis mon arrivée en France en 1995, sont articulés autour de trois domaines d’étude d’une importance inégale.

13 AGÂPÉS prend appui sur une vingtaine de partenariats avec des universités estrangères (University of Oxford avec S. Ryan, Université de l’UQAM avec M. Charpentier, École de Santé Publique d’Athènes avec A. Barbouni, University of Applied Sciences & Arts of Southern Switzerland, Department of Business Economics, Health & Social Care avec S. Cavalli, University of Helsinki avec H. Helve, Universidad Nacional Autónoma de México (UNAM) avec L. Merino, Universidad San Francisco de Quito avec J.-R. Guillemot, etc.) et une dizaine de partenariats avec des institutions nationales et internationales, telles que WAS (World Association for Sexual Health), l’Oncopôle, le Gérontopôle, la Chaire UNESCO ‘Sexualités et Droits humains’, la CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail), l’ARS (l’Agence Régionale de la Santé), l’IREPS (Instance Régionale d’Éducation et de Promotion de la Santé), la FORMS (Fédération Occitanie des Maisons de Santé Pluri-professionnelles), l’AIDES/Coalition Plus, le MFPF (Mouvement Français pour le Planning familial), etc.

Le premier porte sur la construction sociale du corps et a débouché sur une thèse de 3ème cycle, qui a été valorisée à partir d’un ouvrage monographique et d’autres productions scientifiques sur des thèmes plus spécifiques. Le second se focalise sur le cancer et retient une analyse de genre, d’abord envisagé sous un angle qui empruntait davantage à l’approche matérialiste qu’à l’approche intersectionnelle. Cette entrée thématique, qui m’occupe durablement depuis mon premier post-doc soutenu par l’INCa, a fait l’objet d’opérations de recherches à une échelle nationale et européenne, qui m’ont amenée à aborder les inégalités intersectionnelles de santé, discutées dans des articles, des ouvrages collectifs que j’ai eu à coordonner (seule ou avec d’autres collègues) ou encore des contributions dans des productions scientifiques dirigées par d’autres membres de la communauté scientifique. Quant au dernier domaine de recherche, il porte sur le vieillissement et s’étend, depuis quelques années, vers le champ du handicap. Prenant appui sur une seconde bourse postdoctorale et européenne qui m’a conduite à croiser les travaux en gérontologie – et notamment la théorie de la dé-prise14 – avec la question du handicap invisible et acquis, ce domaine de recherche a fait l’objet des publications en français ou en anglais. Je présenterai à grand traits ces domaines de recherche pour dégager, en guise de conclusion, les trois questionnements qui me paraissent, de façon rétrospective, les traverser.

L’orientation de mes travaux de recherche ne peut se lire si l’on ne considère pas les activités et la dynamique scientifiques de mon laboratoire d’appartenance, le LISST et de mon laboratoire d’accueil dans le cadre de ma délégation de recherche CNRS : le CERTOP (Centre d’Étude et de Recherche Travail, Organisation, Pouvoir, UMR 5044). Au moment de mon recrutement, l’équipe du CERS15 – dénommée à l’époque ‘Santé et problèmes sociaux’ et organisée autour de mon directeur de thèse – constituait dorénavant un collectif en cours de renouvellement. Solidement ancré sur un ensemble de travaux portant sur le vieillissement, le façonnement sociétal de la santé, ce collectif a su également accueillir la question du handicap, alors que l’intérêt scientifique pour les usages sociaux du corps et la culture somatique sonnait le glas du corps dans les entrées thématiques (suite notamment au départ de Jean-Michel Berthelot à l’université de Paris Sorbonne et sa disparition quelques années après). Le recrutement dans les années qui précèdent le mien de deux autres maîtresses de conférences, Valentine Hélardot et Stéphanie Mulot (dont les recherches portaient – respectivement et pout l’essentiel – sur la santé au travail, ainsi que le sida et le genre aux Antilles), tout comme la titularisation, après mon recrutement, d’une ancienne doctorante du laboratoire, Audrey Parron (qui a fait sa thèse sur le handicap), mettent en lumière cette dynamique.

14 J’aurai l’occasion de développer la théorie de la dé-prise dans le 2e chapitre de cette HDR. Je commencerai par rendre compte de ce trait d’union entre le préfixe ‘dé’ et les ‘prises’ que le sujet explore le long de son parcours. Pour l’instant, précisons juste que la théorie s’appuie et, à la fois, met en perspective les travaux de Christian Lalive D’Épinay, Dario Spini et al. (2004 ; 2008a ; b ; 2019) sur la fragilité, ceux de Claude Martin (2001 ; 2008 ; 2011 ; 2017 ; 2019) sur la vulnérabilité relationnelle, le care ou la dépendance ou encore ceux de Marc-Henry Soulet (2005a ; b) sur la vulnérabilité et de Bernard Ennuyer (2004 ; 2013a ; b ; 2016) sur l’autonomie.

15 ‘Collectif : Expériences Réseaux et Sociétés’ (CERS), l’équipe de sociologie fondamentale du LISST, à laquelle se sont récemment associées des psychologues, dénommée à l’époque ‘Centre d’étude des Rationalités et des Savoirs’.

En parallèle, la formation de doctorant·es sur l’ensemble de ces thématiques et la constitution de l’Institut fédératif de recherche interdisciplinaire ‘Santé Société’ (IFERISS), en collaboration avec les universités toulousaines et l’INSERM, propulsait notre équipe au rang des pôles de référence portant sur la sociologie du vieillissement et la socio-anthropologie de la santé. Cette dynamique se traduisit en particulier par la publication, en 2011, de l’ouvrage collectif La santé à cœur ouvert. Suite à mon recrutement, notre équipe devenue ‘Expériences de santé et dispositifs de soin’, axe 4 du LISST, a continué à mener des recherches sur les mutations des systèmes de santé et des dispositifs de soins, les expériences de handicap et de santé à l’ère des maladies chroniques (sida, cancer, Alzheimer, etc.) ou encore sur les trajectoires des malades et des soins formels et informels, au regard des diverses négociations qui se jouent entre les acteur·rices impliqué·es dans leur suivi. Mais la thématique du vieillissement ainsi que les travaux de l’école toulousaine sur la dé-prise (dont j’étais dorénavant l’héritière) semblaient ‘en sursis’, ses fondateurs (Marcel Drulhe, Serge Clément, Monique Membrado, Jean Mantovani, Jean-François Barthe) avoisinant l’âge du départ à la retraite, alors que l’intérêt pour les inégalités de genre reculait (avec le mouvement inter- laboratoires des collègues), au moment même où les travaux sur le handicap regardaient avec scepticisme les mises en perspective interdisciplinaire.

L’orientation de mes travaux ne peut se comprendre qu’à l’aune de cette dynamique scientifique forgée ‘par’, ‘avec’, ‘à côté’ un travail d’équipe, de la résonnance qu’ils ont pu trouver en son sein mais aussi des limites des approches qui y étaient développées. La première limite relève d’une approche monographique qui se départît de la méthodologie quantitative pour la laisser à d’autres entrées thématiques et spécialités sociologiques du CERS. La seconde s’ancre sur des programmes de recherches qui, pour la plupart, investissaient l’échelle locale et se montraient frileux face aux recherches nationales multi-sites et, par extension, aux comparaisons européennes et internationales. La troisième limite s’inscrivait dans un repli disciplinaire, pour ce qui a trait en particulier aux thématiques de la santé qui, paradoxalement, s’amplifiait au fur et à mesure que le laboratoire s’agrandissait et que les équipes disciplinaires se démultipliaient, rendant difficile une mise en dialogue réelle entre les sociologues, les géographes, les psychologues ou les anthropologues. La quatrième limite, enfin, rend compte des approches spécialisées cloisonnées qui peinaient à forger des liens non seulement entre la sociologie de la santé, du vieillissement, du corps, du handicap, mais aussi celle de la migration, de la culture, des réseaux, de genre… et, ce faisant, rendaient malaisé l’examen croisé des appartenances de genre, de classe, d’âge, de génération ou ethno-raciales, en œuvre dans chacun de ces champs d’études. Dans ces conditions, les rencontres entre gender studies et disability studies, la problématique du vieillissement, du corps ou de la santé devenaient particulièrement fastidieuses ; alors qu’une production scientifique ethnocentrique s’inscrivait puissamment dans une ‘sociologie des classes moyennes’, qui semblait peu s’interroger sur la généralisation et l’extrapolation des résultats ainsi produits.

À bien y regarder, mes travaux de recherche et les publications qui les ont suivis, ainsi que l’ensemble de mes contributions dans la vie scientifique du laboratoire cherchent à contourner ces limites. Ils constituent en cela autant d’apports pour la dynamique de cette équipe de recherche et, plus globalement, pour l’approche sociologique des épreuves de la vie, qu’elles relèvent de la maladie grave et chronique, de l’avancée en âge, du handicap ou encore du genre. C’est ainsi qu’il convient de lire mon rapprochement avec le CERTOP dans le cadre de ma délégation de recherche CNRS ou encore la création de l’axe : ‘Parcours de vie et Inégalités : GESTES (GEnre, Santé, TErritoire et relationS)’ au sein du LISST, dont j’assure la responsabilité aux côtés de Corinne Siino (PU en Géographie) et d’Olivia Troupel (MCF en Psychologie) – et ce depuis sa formation en 2016. Au sein de cet axe, j’ai eu l’occasion de mettre en place une série des manifestations (n= 41), toutes d’une envergure internationale et interdisciplinaire, qui sont valorisées par un ouvrage à paraître chez Érès en 2022 : La Vulnérabilité dans tous ses états : Parcours de Vie et Inégalités (titre provisoire). La vie de l’Axe prend donc appui sur un panel de Colloques et de Journées d’études, organisés dans le cadre des programmes de recherche que je pilote et auxquels j’ai systématiquement adossé mes activités d’enseignement (en Licence ou en Master).

Dans le droit fil de cette même perspective, l’ouvrage collectif, Vivre la Mort, paru aux PUM en 2019, cristallise l’aboutissement d’un cycle des conférences organisé entre le LISST et le laboratoire de recherche en histoire FRAMESPA (Espagne, AmériEspagnespagne, Sociétés, Pouvoirs, Acteurs), qui a permis à des chercheur·es des sciences humaines de débattre des enjeux socio-anthropologiques qui régissent la place de la mort dans les sociétés occidentales, depuis le Moyen âge jusqu’à présent. Une de mes contributions dans cet ouvrage collectif, dirigé par Jean-Yves Bousigue et moi-même, porte sur l’IMG16. Cette contribution fait retour à une étude de terrain monographique, à partir de laquelle sont examinées des questions sociologiques plus générales, qui interrogent la réalité sociale de la mise à mort des fœtus, en œuvre en France aujourd’hui. L’autre contribution revient sur l’expérience de la mort chez les personnes atteintes d’Alzheimer et adopte un regard comparatif entre la France, la Grèce et la Suède17. Toutes les deux rendent compte de l’impossibilité de questionner le biopouvoir sans prendre en considération les enjeux contemporains de l’exercice du pouvoir thanato-cratique. La dernière section du second chapitre de la présente HDR (cf. Volume II) revient sur cette question qui me paraît fondamentale et qui a restructuré ma façon d’analyser les expériences du vieillissement, de la maladie grave et chronique et du handicap, à partir du paradigme des parcours de vie.